Transhumance

   Il était temps, je crois. Temps de partir, de s'éloigner, de quitter, de prendre de la distance, de (se) décoller, de s'aérer, de s'ensoleiller, de s'immerger dans d'autres essences, parfums, goûts. De voir et revoir d'autres visages, d'autres regards, d'autres reflets. Alors, on part, c'est notre transhumance estivale, le temps des retours et des rencontres.

   Cette année, comme les autres années en réalité, nous descendons - fatalité normande - dans le sud-ouest natal de la mère de notre fils. Il y découvrira de ceux qui partagent son sang et de ceux qui partagent nos amitiés. Pour ça, on traverse la France et on croise cette vieille diagonale du vide où la France abandonnée s'exhibe au bord d'une nationale 10 témoin d'une décadence décrépie. Sur des trottoirs délaissés par la vie, d'anciennes friches commerciales se meurent d'une oxydation inéluctable au profit de Z.A.C. où s'enfilent des vendeurs de voiture, des vendeurs de meubles, des vendeurs de bibelots chinois dans une grande partouze proprette de banlieues modernes.
   La route lente, rectiligne, égrène des stations essence lépreuses, véritables relais de postes républicains des congés payés des trente glorieuses et d'une vie avant l'autoroute, avant le diesel des supermarchés , avant la vitesse comme étalon, avant l'argent comme étalon, qui résonnent de la colère du passé. Certaines sont reconverties en squat, en boulangerie, en antiquaire, en garage, d'autres, en rien, bien souvent, décors probable de turpitudes libertines.

   Autre curiosité de ce couloir moribond, les parcs animaliers, sport régional manifestement. "Zooparc", "Vallée des singes", "La colline enchantée", "Zoodyssée", une pléthore d'animaux heureux est prête à nous enchanter comme si Trente millions d'amis s'était fixé ici, au coeur de cette France d'antan. On trouvera quelques motifs de s'amuser au plaisir promis par les singes : "On a tous 98% de bonobo en nous" dans la mesure où se sont les seuls singes sodomites, le slogan est piquant.

   Les vastes étendues de pins enlacés nous accueillent enfin après dix heures d'automobile ; Mont-de-Marsan sera notre première étape.